Cette série américaine (actuellement sur OCS) comporte deux saisons, bientôt trois, collectionne les prix, et rencontre un public fasciné, éventuellement hostile, à lire les commentaires.
Il s'agit d'un parent-trans: un professeur d'université sexagénaire , Morton Pfefferman, révèle à ses trois enfants qu'il souffre depuis des lustres d'être une femme dans un corps masculin, et qu'il a pris la décision d'assumer son identité véritable. Celle qu'il ne vivait que de loin en loin, avec l'assentiment de son épouse, dans des réunions festives transgenres. Son objet d'amour restant La Femme...
Jill Soloway décrit un milieu d'intellectuel(le)s et de cadres, majoritairement juifs, vivant à Los Angeles.
Apparemment, le coming out du père de famille déclenche chez ses enfants une frénésie de liberté. D’où une sarabande sexuelle et amoureuse, tantôt tonique, et tantôt moins. Message de tolérance, mais sous une forme tellement sarcastique que l'on comprend vite que les relations de dépendance passionnelle n'ont fait que déplacer les curseurs. Et que cette "transition" apparemment bien vécue est une bombe à neutrons.
Il n'est pas anodin de perdre son père de cette façon-là.
La série est réputée « comique » dans les compétitions télévisuelles, et récompensée comme telle. Mais les tribulations quasi picaresques de la famille Pfefferman ressortissent aussi au tragique de vies affrontées à l’égoïsme et la lâcheté, à la peur de la solitude, de la mort, et du manque d’amour.
D’où une recherche frénétique de partenaires : pas de vacance amoureuse possible, ne rien laisser passer, aimer à bride abattue. Mais virer de bord au moindre vent contraire: aporie inévitable, source d’angoisse.
Parmi les morceaux de bravoure les plus spectaculaires, citons ce week-end exclusivement lesbien dans une forêt proche de L.A. Ateliers de réflexion, colliers hippies has been, séances sado-maso payantes… La scénariste s’amuse… Maura-Morton échappe de peu au lynchage, n’étant pas averti(e) que le lieu était interdit à tout porteur d’attribut masculin ; aucune jupe ne trompe l’intuition des participantes. Il doit filer comme un voleur., confronté à l'intégrisme féministe.
D’autant qu’un ancien contentieux quant au pouvoir masculin à l’Université refait surface…
Chemin faisant, Jill Soloway propose un documentaire plein de tendresse sur la vie d’une communauté juive. Nous assistons aux moments de partage rituels des obsèques, du mariage, du Yom Kippour.
Une appartenance nécessaire, sans référence forte à la transcendance, vécue dans la chaleur du groupe, allant de soi. Du moins, ici, et maintenant : avant chaque épisode, un prologue muet rappelle, sous forme d'archives filmées, le climat de liberté dans l’Allemagne des année 20, en contraste avec l’arrivée d’immigrants à New York, fuyant les persécutions de tous ordres.
Des touches dispersées dont le sens s’éclaire dans l’épisode 10. Le scénario de cette œuvre de divertissement est donc aussi un discret rappel à l’Histoire et ses tragédies.
Une hypothèse est aussi proposée, en passant, quant au choix de genre de Morton Pfefferman, qui apporterait de l’eau au moulin de Anne Ancelin Schützenberger, psycho-généalogiste… Hommage au fondateur de la psychanalyse dont on sait quel sort lui réservait le régime nazi, si Marie Bonaparte n'avait pas acheté sa fuite en Angleterre.
Et les acteurs sont remarquables. Ce qu’il faut d’allant pour nous faire croire à cette histoire foutraque, et de distance pour s’en amuser. Sachant que le problème de fond, comment concilier désir de liberté et respect d'autrui, reste posé.