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6 janvier 2019 7 06 /01 /janvier /2019 11:23

Élisabeth de Fontenay, Gaspard de la nuit, Stock, 2018.

 

En sous-titrant son livre « Autobiographie de mon frère », l’auteur souligne à quel point sa vie s’est construite à partir de « la longue catastrophe silencieuse » de ce garçon, né en 1938, quatre ans après elle, quasi mutique, « absent de soi à soi », victime de ce qu’on appelle des « troubles envahissants du comportement », ou plus  communément « autisme ». Et qui, assommé par les neuroleptiques, vit une continuelle dépression.

Un autre cataclysme a frappé cette famille avant la Libération : cinq des proches de la mère sont déportés comme juifs, et ne reviendront pas.

On se souvient que les juifs étaient vus comme des sous-hommes par les nazis (Primo Levi évoque le regard que porte sur lui, comme sur une autre espèce, le médecin du camp).

Elisabeth de Fontenay saisit le fil rouge de ce racisme multiforme pour rappeler la parenté entre l’élimination des juifs et celle des malades mentaux, pendant les années noires, dans l’Europe occupée. Ce qui l’amène à s’opposer frontalement aux thèses contemporaines de certains défenseurs des droits animaux qui, à partir d’une sophistique outrageante, fabriquent une hiérarchie des êtres qui dénierait aux plus vulnérables une assistance inconditionnelle. 

Je me souviens de l’exclamation d’un commerçant du Centre-ville de Toulon, expulsant de son entrée, au petit matin, une femme SDF et ses pauvres couvertures : « ces gens-là, il faudrait les piquer ! « 

Gaspard ne saura jamais que sa sœur écrit pour lui ce « tombeau », lui qui fut « recalé au propre de l’homme » mais reste irréductiblement un humain. La philosophe Elisabeth de Fontenay, familière de cette question du « propre de l’homme » qui traverse les siècles de la pensée, et soutenue dans ses certitudes par ce long compagnonnage avec Gaspard, démontre dans son ouvrage à quel point cet enfant démuni est un frère humain.

 Un frère à qui l’ »Antigone inconsolée » offre sa compassion, son amour et sa colère.

Colère qu’il n’ait pu bénéficier d’une aide thérapeutique différente de la camisole chimique implacable qui l’a réduit au silence. Colère impuissante devant cette famille détruite, ces parents fracassés. Peut-être colère devant l’impossibilité irrémédiable de l’émergence d’une humanité fraternelle.

Fraternelle… Il est frappant de constater que ce lien familial, particulier, et difficile, demeure ce qui définit le mieux le mieux l’idéal de la relation humaine.

Gaspard a prononcé quelques mots que sa sœur conserve comme des trésors. Une fois, comme son père lui reprochait une manière de table non conforme : « laissez-moi vivre ! ». Plus tard, à sa sœur qui l’emmenait à la campagne : "Je suis content"  Petits cailloux-souvenirs, témoins d’une existence exilée, mais qui a eu lieu.

 

Impossible de rendre compte de l’exceptionnelle richesse de ce texte unique, nourri d’une culture incomparable, écrit dans une langue rare. Où l’on croise les grands noms de la réflexion philosophique, et les silhouettes des êtres illustres confrontés à l’épreuve de la différence : Victor Hugo, Charles et Yvonne de Gaulle.

Et qui nous fait partager cette expérience, hélas non unique, d’une famille qu’ "une péripétie extrême " a privé d’un bonheur ordinaire.

 

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