Puisque Victor Hugo est aujourd’hui appelé à témoigner de la nécessité de remettre debout la cathédrale de Paris, lisons-le.
Le titre de cet article est extrait d’un poème des Contemplations, écrit le 20 octobre 1854 alors que le poète, proscrit par « Napoléon le petit », séjourne à Jersey avant d’être expulsé à Guernesey.
Ce texte, intitulé « Le Mendiant », fait partie du 5ème livre de la seconde partie, intitulé, cela ne s’invente pas… En Marche.
Il est apparu récemment sur la Toile, en écho de l’actualité, il n’est pas inutile de le reproduire :
Un pauvre homme passait dans le givre et le vent.
Je cognai sur ma vitre ; il s'arrêta devant
Ma porte, que j'ouvris d'une façon civile.
Les ânes revenaient du marché de la ville,
Portant les paysans accroupis sur leurs bâts.
C'était le vieux qui vit dans une niche au bas
De la montée, et rêve, attendant, solitaire,
Un rayon du ciel triste, un liard de la terre,
Tendant les mains pour l'homme et les joignant pour Dieu.
je lui criai : « Venez vous réchauffer un peu.
Comment vous nommez-vous ? » Il me dit : « Je me nomme
Le pauvre. » Je lui pris la main : « Entrez, brave homme. »
Et je lui fis donner une jatte de lait.
Le vieillard grelottait de froid ; il me parlait,
Et je lui répondais, pensif et sans l'entendre.
« Vos habits sont mouillés », dis-je, « il faut les étendre ,
Devant la cheminée. » Il s'approcha du feu.
Son manteau, tout mangé des vers, et jadis bleu,
Étalé largement sur la chaude fournaise,
Piqué de mille trous par la lueur de braise,
Couvrait l'âtre, et semblait un ciel noir étoilé.
Et, pendant qu'il séchait ce haillon désolé
D'où ruisselait la pluie et l'eau des fondrières,
Je songeais que cet homme était plein de prières,
Et je regardais, sourd à ce que nous disions,
Sa bure où je voyais des constellations.
Quant aux marchands qui se précipitent pour rééditer « Les Misérables », en ont-ils relu la préface qui circule elle aussi sur les réseaux :
« Tant qu’il existera, par le fait des lois et des mœurs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d’une fatalité humaine la destinée qui est divine ; tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit, ne seront pas résolus ; tant que, dans de certaines régions, l’asphyxie sociale sera possible ; en d’autres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles.
Hauteville-House, 1er janvier 1862. »
Les Misérables d’avant-hier ne s’y sont pas trompés, qui ont suivi les obsèques civiles du poète en une foule innombrable, comme ceux qui, lors de la Semaine sanglante, ouvraient les barricades de la Commune le 18 Mars 1871 pour laisser passer le convoi mortuaire de Charles Hugo, suivi par un père anéanti.
Cette préface est connue par la plupart des professeurs de Lettres. La plupart.
Et la lecture de Victor Hugo est toujours un bonheur.
Quant à notre Président, il manque de chance : voilà qu’une multitude analphabète s’indigne du pognon de dingue prévu pour une reconstruction nécessaire : mais il ne peut plus faire un pas sans que ce soit vu comme un faux pas.