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23 novembre 2013 6 23 /11 /novembre /2013 19:54

Comment recevoir le "hurler avec les loups" où Pascal Quignard voit le propre de l'aliénation humaine, constante et répétitive?

Il revisite  dans Les désarçonnés  toute la tradition historique, littéraire, mythique, religieuse, pour démontrer que le seul remède à la détresse originelle, pour  la plupart des êtres humains, est de fonctionner en meute. Et de s’aliéner dans un appétit spontané de servitude, au chef de meute.

Car les hommes n’ont pas la force de désirer la liberté. Elle les effraie.

Chemin faisant, l'écrivain règle leur sort à tous les puissants qui se régalent du malheur et de la mort ; il ne situe  pas  dans une sphère abstraite son analyse des illusions, des mensonges, des faux-semblants dont se régale l’humanité, et qui l’enragent.

Mais à son sens, tout commence dans cette ignorance insupportable de" pourquoi moi, pourquoi ici", et dans la solitude néo-natale, cette faim fondamentale synonyme de mort imminente. Ceci pour l'individu.

Quant à l'espèce, la mort, probable à chaque instant, était dans la face du fauve.  A partir de cette métaphore  féconde,  son récit, ou plutôt l’ensemble  des contes, récits, témoignages, citations, démontre ce postulat :

La société humaine est un grand animal aux manies étranges, lourdes, grossières, répétitives, circulaires, cruelles, que seule la guerre vient divertir.

 Quant à ceux qu’on pourrait appeler les héros de la liberté,  Agrippa d' Aubigné, La Boëtie, le cerf des grands bois, le chat qui sort dans le petit jour, leur lot est la solitude choisie, bienheureuse, mais impensable pour le plus grand nombre.

Montaigne, lui-même, n’a pas osé publier les textes de La Boëtie trop scandaleux pour l’air du temps. Il s’est contenté de lui rendre hommage, ce qui sonne comme une trahison.

Toute l’ analyse de la guerre, du sadisme, du masochisme, de la servitude spontanée, de la haine de la liberté à laquelle se livre Pascal Quignard,  tout cela en fait un pessimiste fondamental. Difficile à accepter pour tous ceux, et il y en a beaucoup, qui se sont mis hors la meute, qui ont lutté pour le "tous ensemble" contre les loups.

 Mais, à l'arrivée ? Les combats patriotiques, politiques, syndicaux, sociétaux, une fois une "solution" advenue, quelle qu'elle soit ? Voir le Chili, l'ex URSS, le CNR.... plus le reste, l'éternelle confrontation avec toutes les violences? (J'ai un peu honte de dire de telles banalités, mais enfin, quand a-t-on changé la vie?)

 Quignard propose l'échappatoire majeure: se laisser désarçonner, et renaître à chaque fois qu'il le faut.

 Formule particulièrement féconde, parce que susceptible de mille applications. Eprouver ce que Proust appelle des instants profonds devant la beauté de la nature, de la vie, des chats. Lire, et réaliser une compagnie de Solitaires de Port-Royal. Ecrire, même si l'écriture est de l'ordre de la survie. Aimer son prochain, comme dans son roman Caruset aider un désarçonné à reprendre sa vie. Faire de la musique.

  Il y a une joie fondamentale de la survie à ne pas négliger.

 Le plaisir que j'éprouve à lire Quignard, c'est qu'il réalise ce choix, cet idéal de vie dans l'aspect lumineux de son langage, cette coïncidence passionnée qu'il établit avec son texte. Et qui fait qu'on a un peu de vergogne à le commenter. C'est pourquoi je m'arrête là...

J'ajoute cependant, en référence au très beau film de Visconti, "Le guêpard" d'après le roman de Lampedusa la phrase du prince Fabrizzio:"nous avons été des lions et des guêpards, maintenant arrivent les hyènes et les chacals" .(Je cite de mémoire). Le prince refuse avec hauteur d'entrer dans les lieux de pouvoir qui lui sont proposés; il y favorise la promotion d'un riche bourgeois, un  chacal truqueur d'élection,  le futur beau-père de son neveu. Népotisme de caprice: le prince ne peut s'empêcher d'admirer le cynisme de Tancrède. Contagion entre les animaux nobles et les ignobles.

Les grands textes, et leurs métaphores,  nous font vivre ces fameux instants profonds. 

 

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