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25 juin 2016 6 25 /06 /juin /2016 17:08

On peut voir actuellement ce film sur Ciné-Club, et c’est un bonheur.

L’argument semble d’une parfaite simplicité : une belle actrice, Maria Enders, la quarantaine éclatante, est sollicitée pour reprendre un rôle dans une pièce où elle triompha à dix huit ans : elle y amenait au suicide, à force d’indifférente cruauté, une amante plus âgée. C’est évidemment ce personnage-là qu’on lui demande d’endosser maintenant. Mission délicate.

En compagnie de sa jeune assistante, elle s’installe à Sils Maria, en Engadine, pour répéter, répéter, répéter. L’Engadine, lieu un peu mythique, stations chic pour une nomenklatura polyglotte et discrète dans une nature splendidement préservée. A deux pas du lac de Côme où Maria fera une escapade d’un soir, en contrepoint de l’isolement et du silence de Sils Maria.

Sils Maria, où Nietzsche fit des séjours éblouis, et théorisa l’Eternel Retour, clin d’œil du réalisateur qui y met en scène la succession du même et de l’autre, des effets de miroirs multiples : entre autrefois et aujourd’hui, entre le « couple » qui s’installe avec sa « répétitrice » et celui de la pièce qu’elles répètent, dans l’affrontement.

Comme on pouvait s’y attendre, l’héroïne se confronte à la fois à son propre passé et à l’implacable présent de ses jeunes partenaires.

Mais au lieu de mettre en scène un conflit de génération, Olivier Assayas plonge son héroïne dans un déséquilibre ingérable, une bourrasque dont le spectateur saisit vite l’enjeu vital. Maria Enders (Juliette Binoche) ne reconnaît littéralement plus cette pièce que son assistante-partenaire de répétition analyse autrement ; du coup, s’installa une sorte de non-familiarité dérangeante avec le texte, et par là-même avec sa propre personne, éclatée entre autrefois et aujourd’hui. Pourtant, elle ne peut pas davantage échapper à ce rôle que la jeune actrice prévue,… aux paparazzi. Laquelle ne se gênera pas pour écarter méchamment une suggestion scénique de Maria, lui suggérant que son personnage (ou sa personne) sort bien du jeu. Maria Enders, das Ende, en allemand, la Fin ?

Non : le réalisateur lui propose un prochain rôle-refuge : celui d’un personnage de science-fiction, genre intemporel par définition : là où justement sa jeune partenaire-rivale a conquis la célébrité… Jeux de spirales.

Juliette Binoche gomme dans ce film sa beauté habituelle, montre un visage plâtré, une coiffure improbable, se déplace sans grâce sur des sentiers difficiles, en personnage qui renonce ; sa compagne-rivale au contraire, (magnifique Kristen Stewart) malgré ses grosses lunettes et ses vêtements informes évolue comme sans y penser dans une splendide légèreté. Les actrices habitent véritablement leurs rôles.

La subtilité du réalisateur se lit surtout, comme il est normal au cinéma, dans la suggestion visuelle des enjeux, que ce soit le piège du couloir du train, ou encore l’échappée grandiose vers la liberté intemporelle des sommets. Mais c’est surtout manifeste lors de cette avancée irrésistible d’une langue nuageuse, le « serpent de Maloya », véritable monstre du Loch Ness, qui envahit la vallée, coupe les issues, enferme les personnages dans leur condition:

Le temps s’en va, le temps s’en va Madame.
Las, le temps, non. Mais nous, nous en allon
s.

Ronsard. (Sonnets pour Hélène)

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